A Soi-Même (extraits du "Journal" autobiographique 1867 - 1915)
Il en est de même de la vie animale ou humaine. Nous ne pouvons sans que tout notre être ne se déplace, par obéissance aux lois de la pesanteur. Un dessinateur sait cela. Je crois avoir obéi à ces intuitives indications de l'instinct dans la création de certains monstres. Ils ne relèvent pas, comme l'a insinué Huysmans, des secours du microscope devant le monde effarant de l'infiniment petit. Non. J'avais, en les faisant, le souci plus important d'. Il y a un mode de dessin que l'imagination a libéré du souci embarrassant des , pour ne servir, avec liberté, qu'à la représentation . J'ai fait quelques fantaisies avec la tige d'une fleur, ou la face humaine, ou bien encore avec des éléments dérivés des ossatures, lesquels, je crois, sont dessinés, construits et bâtis comme il fallait qu'ils le fussent. Ils le sont parce qu'ils ont un organisme.
Toutes les fois qu'une figure humaine ne peut donner l'illusion qu'elle va, pour ainsi dire, sortir du cadre pour marcher, agir ou penser, le dessin vraiment moderne n'y est pas. On ne peut m'enlever le mérite de donner l'illusion de la vie à mes créations les plus irréelles. Toute mon originalité consiste donc à faire vivre humainement des êtres invraisemblables selon , en mettant, autant que possible, la logique du visible au service de l'invisible. Ce dessin-là découle naturellement et facilement de la vision du monde mystérieux des ombres, à qui Rembrandt, en nous le révélant, donna le verbe. Mais d'autre part, mon régime le plus fécond, le plus nécessaire à mon expansion a été, je l'ai dit souvent, de copier directement le réel en des objets de la nature extérieure en ce qu'elle a de plus menu, de plus particulier et accidentel. Après un effort pour copier minutieusement un caillou, un brin d'herbe, une main, un profil ou tout autre chose de la vie vivante ou inorganique, je sens une ébullition mentale venir ; j'ai , de me laisser aller à la représentation de l'imaginaire. La nature, ainsi dosée et infusée, , ma levure, mon ferment. De cette origine je crois mes inventions vraies. Je le crois à mes dessins ; et il est probable que, même avec la grande part de faiblesse, d'inégalité et d'imperfection propre à tout ce que l'homme recrée, on n'en supporterait pas un instant la vue (parce qu'ils sont ) s'ils n'étaient, ainsi que je le dis, formés, constitués et bâtis selon la loi de la vie et de transmission morale nécessaire à tout ce qui est.
A Soi-Même Odilon Redon (extraits du "Journal" autobiographique 1867 - 1915) Peinture : La Coupe Du Devenir (L'Enfant À La Coupe) . Odilon Redon |