L'opéra. Monsieur Croche, antidilettante, Claude Debussy.
A cette conception ornementale, la musique qu'acquiert la sûreté d'un mécanisme à impressionner le public et qui fait surgir les images.
Qu'on n'aille pas croire à quelque chose de hors nature ou d'artificiel. C'est au contraire infiniment plus “ vrai ” que les pauvres petits cris humains qu'essaye de vagir le Drame lyrique.
Surtout, la musique y garde toute sa noblesse, elle ne condescend jamais à s'adapter à ces besoins de sensiblerie qu'affectent les gens dont on dit qu'ils “ aiment tant la musique ” ; plus hautainement, elle les force au respect, sinon à l'adoration. On peut remarquer facilement que l'on n'entendit jamais “ siffler ” du Bach ...
Cette gloire buccale n'aura pas manqué à Wagner : sur le boulevard, à l'heure où sortent les prisonniers de luxe des maisons d'arrêt musicales, il arrive d'entendre allègrement “ siffler ” “ la Chanson du Printemps ” ou la phrase initiale des Maîtres Chanteurs. Je sais bien que pour beaucoup de gens, c'est toute la gloire promise à la musique. Il est néanmoins permis d'être de l'avis contraire sans trop se singulariser.
Je dois ajouter que cette conception ornementale a complètement disparu ; on a réussi à domestiquer la musique ... Enfin ! Cela fait l'affaire des familles qui, ne sachant que faire d'un enfant, — la carrière de brillant ingénieur commence à fâcheusement s'encombrer, — lui font apprendre la musique : ça fait toujours un médiocre de plus ...
Si parfois un quelconque homme de génie essaye de secouer le dur collier de la tradition, on s'arrange de façon à le noyer dans le ridicule ; alors le pauvre homme de génie prend le parti de mourir très jeune, et c'est la seule manifestation pour laquelle il trouve de nombreux encouragements.
L'OPÉRA
Tout le monde connaît, au moins de réputation, le théâtre national de l'Opéra. J'ai eu le regret de constater qu'il n'avait pas changé : pour le passant mal prévenu, ça ressemble toujours à une gare de chemin de fer ; une fois entré, c'est à s'y méprendre une salle de bains turcs. On continue à y faire un singulier bruit que des gens qui ont payé pour cela appellent de la musique ... il ne faut pas les croire tout à fait. Par une grâce spéciale et une subvention de l'Etat, ce théâtre peut jouer n'importe quoi ; ça importe si peu qu'on y a installé avec un luxe soigneux des “ loges à salons ”, ainsi nommées parce que l'on y est plus commodément pour ne plus entendre du tout la musique : ce sont les derniers salons où l'on cause.
En tout ceci, je n'attaque nullement le génie des directeurs, étant persuadé que les meilleures bonnes volontés se brisent là, contre un solide et solennel mur fait de fonctionnarisme entêté, et qui empêche toute lumière révélatrice de pénétrer ... Ça ne changera du reste jamais, à moins d'une révolution, bien que les révolutionnaires ne pensent pas toujours à ces monuments-là. On pourrait souhaiter l'incendie, si cela n'atteignait par trop aveuglément des personnes assurément innocentes. Pourtant, en secouant l'industrieuse apathie de cet endroit, on pourrait y faire de belles choses. Ne devrions-nous pas connaître la Tétralogie en entier, et depuis longtemps ? D'abord, ça nous en aurait débarrassé, et les pèlerins de Bayreuth ne nous agaceraient plus avec leurs récits ... Jouer les Maîtres Chanteurs, c'est bien ; Tristan et Isolde, c'est mieux (l'âme charmante de Chopin y apparaît à des tournants de musique et en commande la passion). Sans déplacer nos doléances, regardons comment l'Opéra servit le développement de la musique dramatique en France.
On y joua beaucoup de Reyer. Le succès m'en paraît dû à des causes bizarres.