Théâtre populaire. Monsieur Croche, antidilettante. Claude Debussy.
Il serait absurde de croire que je veuille manquer de respect à Beethoven ; seulement, un musicien de génie tel que lui pouvait se tromper plus aveuglément qu'un autre ... Un homme n'est pas tenu de n'écrire que des chefs-d'œuvre, et si l'on traite ainsi la Symphonie Pastorale, cette épithète manquerait de force pour qualifier les autres. Et c'est tout ce que je veux dire. M. Weingartner a dirigé ensuite une Fantaisie pour orchestre de M. C. Chevillard, où la matière orchestrale la plus solidement curieuse sert à une façon très personnelle de développer les idées.
Un monsieur qui aime personnellement la musique a sifflé cette Fantaisie avec une clef éperdue ... C'est extrêmement maladroit. Pouvait-on savoir exactement si ce monsieur critiquait la façon de conduire de Weingartner ou la musique de l'auteur ? D'abord, une clef n'est pas un instrument de combat, c'est un instrument domestique.
M. Croche préférait la façon élégante qu'ont les petits garçons bouchers de siffler entre leurs doigts : ça fait plus de bruit. Le monsieur ci-dessus désigné est peut-être encore assez jeune pour apprendre cet art ? M. Weingartner a repris son avantage en conduisant merveilleusement le Mazeppa de Liszt.
Ce poème symphonique est rempli des pires défauts ; il est même parfois commun, et pourtant la tumultueuse passion qui ne cesse de l'agiter finit par vous prendre avec une telle force que l'on trouve ça très bien sans plus songer à s'expliquer pourquoi ... (On peut prendre des airs dégoûtés à la sortie parce que ça fait bien ! ... Pure hypocrisie, croyez-le bien.) La beauté indéniable de l'œuvre de Liszt tient, je crois, à ce qu'il aimait la musique à l'exclusion de tout autre sentiment.
Si parfois il va jusqu'à la tutoyer et la mettre carrément sur ses genoux, cela vaut bien la manière gourmée de ceux qui ont l'air de lui être présentés pour la première fois. Assurément c'est très convenable, mais ça manque de fièvre. La fièvre et le débraillé atteignant souvent au génie de Liszt, c'est préférable à la perfection, même en gants blancs. M. Weingartner, physiquement, donne à première vue l'impression d'un couteau neuf. Ses gestes ont une élégance quasi-rectiligne ; puis, tout à coup, ses bras font des signes implacables qui arrachent des mugissements aux trombones et affolent les cymbales ... C'est très impressionnant et tient du thaumaturge ; le public ne sait plus comment manifester son enthousiasme.
THÉÂTRE POPULAIRE
Depuis quelque temps déjà, on s'inquiète de divers côtés de développer dans l'âme du peuple le goût des arts en général et de la musique en particulier. Pour l'histoire, je citerai : le Conservatoire de Mimi Pinson, où M. Gustave Charpentier met en pratique les théories chères à son jeune génie. C'est ainsi qu'il donne le goût de la liberté, aussi bien dans l'art que dans la vie, à des jeunes filles dont l'esthétique se bornait jusqu'ici : au Nord par P. Delmet, au Sud par Pierre Decourcelle ... Maintenant, elles savent les noms de Gluck, A. Bruneau ; et leurs jolis doigts fuselés, si adroits à chiffonner les rubans, caressent la harpe chromatique de M. G. Lyon. — Elles feront certainement de charmantes jeunes femmes, au lieu des impertinentes petites bourgeoises qu'elles se préparaient à être. Du même coup sombre la gloire des Noces de Jannette, et quant à la Dame Blanche, elle n'en a pas pour longtemps ...