Le Bestiaire, ou Cortège d’Orphée. (3) Alcools. Recueil de poèmes, Vitam impendere amori. Guillaume Apollinaire
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Puces, amis, amantes même,
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Qu’ils sont cruels ceux qui nous aiment !
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Tout notre sang coule pour eux.
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Les bien-aimés sont malheureux.
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Voici la fine sauterelle,
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La nourriture de saint Jean.
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Puissent mes vers être comme elle,
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Le régal des meilleures gens.
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Que ton cœur soit l’appât et le ciel, la piscine !
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Car, pécheur, quel poisson d’eau douce ou bien marine
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Égale-t-il, et par la forme et la saveur,
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Ce beau poisson divin qu’est JÉSUS, Mon Sauveur ?
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Dauphins, vous jouez dans la mer,
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Mais le flot est toujours amer.
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Parfois, ma joie éclate-t-elle ?
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La vie est encore cruelle.
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Jetant son encre vers les cieux,
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Suçant le sang de ce qu’il aime
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Et le trouvant délicieux,
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Ce monstre inhumain, c’est moi-même.
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Méduses, malheureuses têtes
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Aux chevelures violettes
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Vous vous plaisez dans les tempêtes,
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Et je m’y plais comme vous faites.
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Incertitude, ô mes délices
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Vous et moi nous nous en allons
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Comme s’en vont les écrevisses,
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À reculons, à reculons.
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Dans vos viviers, dans vos étangs,
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Carpes, que vous vivez longtemps !
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Est-ce que la mort vous oublie,
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Poissons de la mélancolie.