Montaigne *video
Au XVI e siècle : Montaigne
Montaigne
« Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. Je passe là et la plupart des jours de ma vie et la plupart des heures du jour. Toute cette fricassée que je barbouille n’est qu’un registre des essais de ma vie. Lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre. »
Voix-off
« A l’extérieur, Henry II doit affronter le très puissant Saint Empire Romain Germanique. »
Montaigne
« La guerre ! Un témoignage de notre imbécillité et imperfection. Cruautés inouïes. »
Voix-off
« En France, une grande partie de l’élite militaire et politique est gagnée par les idées protestantes réformatrices. Elle s’en prend au pouvoir catholique gangréné par les abus. Montaigne est chargé de mission à la cour et conseiller au parlement de Bordeaux. C’est par cette porte, la Porte Cailhau qu’il se rend au parlement, cour de justice de l’ancien régime. Quel est alors le regard de Montaigne sur les lois du royaume ? »
Montaigne
« Les lois, c’est à dire, cette mer flottante des opinions d’un peuple ou d’un prince. Qui me peindront la justice d’autant de couleurs et la reformeront en autant de visages qu’il y aura en eux de changements de passions. »
Voix-off
« Certaines voix du temps s’indignent. Ce magistrat est un provocateur. »
Montaigne
« Les lois se maintiennent en crédit, non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont lois. Au juge de les adapter. »
Voix-off
« D’autres voix du temps précisent : Montaigne est un sage insolent. »
Montaigne
« Comment admettre que la justice soit refusée à qui n’a de quoi la payer ? »
Voix-off
« Le magistrat Montaigne a assisté à des séances de tortures. Les géhennes. Seul de son temps, ou presque, il réagit. »
Montaigne
« C’est une dangereuse invention que celle des géhennes. Et il semble plutôt que ce soit un essai de patience que de vérité. Il fait bon naître en un siècle fort dépravé, car par comparaison d’autrui, vous êtes estimé vertueux à bon marché. »
Voix-off
« Depuis les maisons fortes de Guyenne, les hommes s’observent. Une religion contre une autre. A partir de 1562, la France entière va être déchirée par huit guerres civiles qui opposeront les catholiques aux protestants. Montaigne écrira ses essais dans un paysage ravagé par un fanatisme religieux terrifiant. Juif, converti par sa mère, protestant par ses alliances mais, catholique par son père, il sait que sa religion tient du hasard. Il choisit résolument le pacifisme et la tolérance de la tradition humaniste face à la barbarie. »
Montaigne
« Ces gens sont poussés par des considérations particulières, très particulières. »
Voix-off
« Montaigne murmure à qui veut l’entendre, huguenots ou catholiques : au fond, même venin. »
Montaigne
« A peine me pouvais-je persuadé, avant que je l’eusse vu, qu’il se fut trouvé des âmes si monstrueuses et pour le seul plaisir du meurtre, voulussent commettre. Hacher et détrancher les membres d’autrui. Aiguiser leur esprit à inventer des tourments inusités, des morts nouvelles. Pour cette seule fin de jouir du plaisant spectacle des gestes et mouvements pitoyables, des gémissements et voix lamentables d’un homme mourant en angoisse. »
Voix-off
« L’an du Christ 1571, à l’âge de 38 ans, Michel e Montaigne, depuis longtemps déjà lassé de l’esclavage de la cour, du parlement et des charges publiques, se sentant encore dispo, vint à part se reposer dans le calme et la sécurité. Il y franchira les jours qui lui restent à vivre. Erreur ! C’est à partir de ce moment que Montaigne va se voir confier un rôle politique très subtil. En 1581, Montaigne est élu maire de Bordeaux après un étonnant périple à travers l’Europe. Ces rues de Bordeaux, il les a parcourues longtemps auparavant en compagnie d’Etienne de La Boétie, son collègue au parlement, son ami qui lui a insufflé le rejet de la tyrannie politique. Ces lieux, il les a imprégnés de sa présence. Et c’est ici, à la mairerie, que Montaigne, maire de Bordeaux, avait sa résidence de fonction. »
Montaigne
« La plupart de nos occupations sont farcesques. Il faut jouer dûment notre rôle, mais comme rôle d’un personnage emprunté. Nous ne savons pas distinguer la peau de la chemise. C’est assez de s’enfariner le visage sans s’enfariner le cœur. Dans les présents troubles de cet état, mon intérêt ne m’a fait méconnaître ni les qualités louables de nos adversaires, ni celles qui sont reprochables à ceux que j’ai suivis. Le maire et Montaigne ont toujours été deux. D’une séparation bien claire. Les rois et les philosophes fiantent et les dames aussi. Et au plus élevé du trône, nous sommes assis que sur notre cul. »
Voix-off
« Et le sage Montaigne, de se replonger dans ses essais. Il habite une région protestante, la Guyenne. Une Guyenne accueillante, déjà terre du grand vin. Une Guyenne riante, qui connaît pourtant les pires désordres. Catholique, le maire de Bordeaux est aussi au service du roi Henri III et c’est vers lui qu’il se tourne. »
Montaigne
« Sire ! Toutes impositions doivent être faites également sur toute personne. Le fort portant le faible. Et qu’il ne soit très raisonnable que ceux qui ont les moyens plus grands se ressentent de la charge plus que ceux qui ne vivent qu’avec hasard et de la sueur de leur corps. D’autant que la misère du temps a été si grande depuis le malheur des guerres civiles que plusieurs personnes de tous sexes et qualités sont réduites à la mendicité, de façon qu’on ne voit par les villes et par les champs qu’une multitude effrénée de pauvres. »
Voix-off
« Henri de Navarre, le protestant, héritier présomptif du trône est reçu au château de Montaigne. Montaigne qui participe activement aux délicates négociations entre la ligue catholique et le futur Henri IV. Mais, quand il est las du tumulte, l’auteur des Essais se retranche dans sa tour, toute proche, pour s’y reposer, seul. »
Montaigne
« Avez-vous su prendre du repos ? Vous avez plus fait que celui qui a pris des empires et des villes. Le glorieux chef d’œuvre de l’homme, c’est vivre à propos. Esope, ce grand homme, vit son maître qui pissait en se promenant. Quoi donc fit-il ? Nous faudra-t-il chier en courant ? Ménageons le temps ! Il n’y a rien de certain que l’incertitude. Et rien de plus misérable et plus fier que l’homme. Les hommes sont tourmentés par l’opinion qu’ils ont des choses, non par les choses mêmes. L’homme qui n’est rien. S’il pense être quelque chose, se séduit soi-même et se trompe. La plus calamiteuse et fragile de toutes les créatures, c’est l’homme. L’homme, qui présume de son savoir, ne sait pas encore ce que c’est : savoir. Cela peut être et peut ne pas être. »
Voix-off
« La Guyenne est ravagée par la peste. Montaigne quitte les lieux. A l’abri de l’épidémie, il choisit de continuer à écrire et à exercer son esprit critique. Certains propos de l’édition des Essais en trois parties dérangent l’Eglise catholique. »
Montaigne
« Je ne concède pas au magistrat, même qu’il ait raison, de condamner un livre, parce que j’ai placé, entre les meilleurs poètes de ce siècle, un hérétique. N’oserions-nous dire d’un voleur qu’il a une belle jambe ? Et faut-il, si elle est putain qu’elle soit aussi punaise ? »
Voix-off
« En France, les guerres religieuses continuent à faire rage. Pouvoirs contre pouvoirs. Montaigne se met en danger. Il joue, plus que jamais, son rôle de médiateur. Et pour combattre l’intolérance du temps, il s’enferme pour réfléchir en tous lieux de sa tour, à ce que pourrait-être l’éducateur idéal. »
Montaigne
« Il faut qu’il ait plutôt la tête bien faite que bien pleine. Et qu’à son élève, il ne demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais, du sens, de la substance. C’est témoignage d’indigestion de rendre la viande comme on l’a avalée. Qu’on propose à l’écolier, une diversité de jugements. Il choisira ! Si il peut, sinon, il demeurera en doute. Il n’y a que les fols, certains et résolus. Seuls les insensés ne doutent pas ! »
Voix-off
« L’action du missionnaire de la paix n’aura pas été vaine. Montaigne mourra en 1592, pendant la huitième guerre de religion. La dernière. Et c’est parce qu’il s’est doucement apprivoisé à la mort, qu’il a su vivre à propos. »
Montaigne
« Avez-vous su méditer et manier votre vie ? Vous avez fait la plus grande besogne de toute. Pour le reste… »