Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande. 14
Nous nous serrâmes la main et je profitai des renseignements juste reçus pour lui parler de lui-même et de ses travaux. Il me répondit dans un français âpre mais correct, très gracieusement, mais presque en monosyllabes, et il ne fallut rien moins que l'arrivée auprès de moi de quelques-uns de ses camarades d'Amsterdam, francs buveurs et grands fumeurs pour dérider un peu cette tête noble à force de haute mélancolie ...
Je sous-entends le nombre de petits et de grands verres bus, de petits gâteaux secs croqués, de nourritures froides absorbées et de cigares fumés. La conversation était devenue générale, les dames, enfin ! s'en mêlant.
Mais l'heure marche et demain ne sera pas un jour de repos. Le louageur opère encore et, vers deux heures du matin votre serviteur, désormais émancipé “ orateur ” ronflait à poing fermé.
Le lendemain matin je me levai très tard et descendis presque au moment du déjeuner à la fourchette. Verwey — qui ne demeure pas à La Haye et s'était gentiment déplacé pour moi — était prié, — et cette circonstance me remit immédiatement en mémoire ma conversation de la veille avec ce monsieur si bien informé touchant les littérateurs hollandais, conversation interrompue juste au moment où il allait me servir Verwey “ tout chaud, tout bouillant”.
Tenez, me dit Zilcken à qui j'en parlais, en me tendant un cahier déjà respectable de notes, voilà un “ instantané ” qu'un ami de lettres jetait là il y a quelque temps.
Je lus : “ Albert Verwey. Moins de génie peut-être et plus de talent que Kloos, son aîné de six ans — a été l'élève, l'enfant en art et l'ami très intime de Kloos. Depuis ... a publié en 1885 des vers d'une grande beauté et encore un “ Van het leven ”. En 1889 s'est retiré un peu. — Très précoce, à dix-sept ans il faisait un poème épique qui fit grand bruit, “ Perséphone ” d'une forme rythmique extraordinaire.
Verwey a été la force belliqueuse et vivante du mouvement. Il a fait du journalisme et de la polémique très brillants ”.
Quelques instants après cette lecture faite, Verwey était là. Le déjeuner eut lieu assez vite, car nous devions visiter le musée qui n'ouvre qu'à certaines heures. Retraite ordinaire dans l'atelier. Verwey avait un air comme inquiet, tournait tout autour de la vaste pièce, tâtonnant des objets sur la table, mâchonnant son cigare. A la fin il me dit — ou plutôt, tant il y mettait de discrétion et presque de timidité, me confessa qu'il avait composé des vers sur moi, après la soirée de la veille. Et il improvisa la traduction que je copiai à la volée, que voici :