Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande. 34
On se sépara vers minuit et demi. Je montai vite à ma chambre, bouclai ma légère valise et le lendemain dès sept heures je prenais le thé avec mes hôtes. J'avais le soir fait mes adieux à la mère de M me Zilcken et à la toute gentille et plaisante M lle Renée, qui, paraît-il, a gardé un bon souvenir du “ Môssieu ”.
Une bien cordiale poignée de main à M me Zilcken et un saut, un peu lourd et ... aidé, dans la voiture où son mari m'accompagne, et nous voici, au bout de dix minutes, en gare où m'attendaient le bon Toorop et le cher Verwey.
Le train siffle, un saut analogue à celui de tout à l'heure, cette fois dans le coupé qui doit ne me descendre qu'à Paris, des mains agitées de part et d'autre jusqu'à perte de vue — et me voici roulant dans cette part de Hollande admirée si fantastique, il y a quinze jours, admirée aujourd'hui si belle, si verte, si puissante contre l'eau, sa parure et son danger. Je retraversai ensuite la si différente, si curieuse Belgique, que je devais voir de plus près quelques mois après. Puis la France et Paris.
En route j'avais fait ces vers qui clôront ce récit où je me suis tant plu :
Gens de la paisible Hollande
Qu'un instant ma voix vint troubler,
Sans trop, j'espère, d'ire grande
De votre part, voulant parler
A vos esprits que la nature
Fit calmes pour mieux y mêler
L'enthousiasme et la foi pure
En l'idéal fou de réel,
Et l'idéal et l'aventure
De sorte équitable, — ô le ciel
Non plus brumeux, mais de par l'ombre
Même et l'éclat essentiel,
O le ciel aux teintes sans nombre
Qu'opalisent l'ombre et l'éclat
De votre art clair ensemble et sombre.
Ciel dont il fallait que parlât
Aussi ce vieux siècle au-then-tique,
Et dont il fallait que perlât
Cette douceur vraiment mystique
Et crue aussi vraiment, qui rend
Rêveuse notre âpre critique,
O votre ciel, fils de Rembrandt.