Redon À soi-même (20)

Peyrelebade. — Soulac, Soulac, c'est le cri attendu qu'entend enfin le voyageur qui s'est porté vers la plage inconnue. Il ne voit rien d'abord : un large et mouvant tapis de sable, de grands pins sur la dune éboulée. Il est seul, presque perdu ; l'indigène étonné s'approche avec surprise. Quelques rares baigneurs aussi seront là dès l'arrivée pour y voir le nouveau venu ou l'ami. On est si seul là-bas, aux fins des terres, c'est l'unique impression que vous aurez aussi dans ce pays demi-mort et sauvage, sans vie et sans culture, confiné presque dans l'Océan. On l'entend à deux pas et il vous attire. La mer est là, magnifique, imposante et superbe, avec ses bruits obstinés. Rumeur impérieuse et terrible, elle tient des propos étranges. Les voix d'un infini sont devant vous. Rien de la vie humaine. Sur le haut horizon, pas un navire, une voile à demi cachée est en plein Océan. Là, les côtes lointaines de la Charente, tachées de quelques points blancs imperceptibles qui sont des maisons. Ici, c'est la plage immense, indéfinie, dont les fins se confondent avec la mer elle-même, avec le jour et la lumière, avec l'éclat mouvant de la vague argentée. Peintres, allez donc voir la mer. Vous y verrez les merveilles de la couleur et de la lumière, le ciel étincelant. Vous sentirez la poésie des sables, le charme de l'air, de l'imperceptible nuance. Vous en reviendrez plus forts et remplis de grands accents. Poètes, allez voir ce rivage. Vous aurez à chanter le mystère de l'infini. Vous aurez sur ces bords la forte solitude. Musiciens, allez entendre son harmonie. Vous, enfin, fatigués de la vie mondaine, vous que le poids des jours accable, vous tous qui travaillez sans trêve et sans repos au sein de nos misères, vous tous, hommes des champs et gens du peuple, allez respirer la force et la foi dans la nature féconde, notre mère et amie.

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Il est certaines choses du cœur qu'il faut subir et commenter dans le silence. Elles viennent, elles s'en vont. Elles laissent des passes profondes. Quand le temps les a touchées de son ombre, elles sont alors comme un accroissement de nous-même, une augmentation de la vie, un surcroît suprême où nous sentons le tourment divin nous grandir ; où la sensibilité, hier aride et toute sèche, reprend sa vie, sa résonnance d'autrefois, la fraîcheur vive des premiers ans : germination sacrée qui pourrait nous induire à l'idée que rien de ce qui est du cœur ne saurait finir — peut-être.

Le vouloir n'a point de prise sur elles, du moins à certains jours et par instants : c'est là le plus troublant problème qu'un homme moral ait à résoudre. C'est la plus inquiétante question qu'un esprit mûr, une pensée soucieuse de la docile obéissance à sa loi, tendant à la perfection, tourmenté de se bien conduire, et qui n'a d'autre but que de donner intact le dépôt de sa moralité, ait par fatalité l'occasion de se poser.

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« Le cœur a ses raisons », il les a, il les poursuit, il délibère en nous selon des lois secrètes infiniment mystérieuses, si bien qu à l'occasion d'une rencontre de femme — rencontre fortuite — il s'empare de la personne entière, c'est la domination, un envahissement, une défaillance obscure, où l'on ne discerne plus très bien ce que c'est que la conduite, où la notion du bien et du mal n'est plus, ou n'est plus nécessaire, parce que ce qui est du cœur à cet instant divin est alors quelque chose de l'éternité.

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Déjà, pour me l'être dit à moi-même, je sens comme un apaisement de ma tristesse ; comme si la loi d'aimer devait incessamment produire et créer partout où elle s'affirme, philtre délicieux, mirage charmant, verbe, extase et délire où le ciel même s'ouvre et se crée par elle.

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Il y a quelques minutes de sa présence où ce que j'ai ressenti de plus délicat et de plus tendre de la femme et des femmes se répercuta dans mon cœur par la maturité de mon esprit, comme si en elle se résumait ce que j'ai le plus aimé, ce qui me révèle le plus de lumière, ce qui me domina le plus et m'attira vers le beau. La femme est notre annonciateur suprême.

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