Guillaume Apollinaire - Marquis de Sade (11)
La liste des manuscrits du marquis de Sade publiée par la Biographie Michaud (voir l'Essai bibliographique) indique comme productions perdues ou saisies : Contes, 4 volumes ; Le portefeuille d'un homme de lettres, 4 volumes. Je pense que ces manuscrits forment en réalité le recueil conservé à la Bibliothèque nationale.
Il s'y trouve des contes aux ff. 451 verso et 453, le canevas du « Portefeuille d'un homme de lettres ... Deux sœurs sont à la campagne. L'une est coquette ; l'autre, aimable, est plus sérieuse. Toutes deux entretiennent un commerce de lettres réglé avec un homme de lettres qui se trouve à Paris. »
De Sade indique sommairement les matières de chaque volume. Les plus intéressants, au moins d'après le canevas, sont le premier et le deuxième volume.
« Le premier volume contient des dissertations sur la peine de mort, suivies d'un projet de l'emploi à taire des criminels pour les conserver utilement à l'Etat, une lettre sur le luxe, une sur l'éducation dans laquelle est [ le marquis de Sade avait écrit sont, qu'il a raturé pour écrire est ] quarante-quatre questions de morale ...
« Le second volume contient une lettre sur l'art d'écrire la comédie, le plan d'une jolie comédie à exécuter en vers, cinquante préceptes dramatiques dans lesquels on [ ici un mot que je n'ai pu déchiffrer ] tout ce qui peut être utile aux personnes qui suivent cette carrière ... »
Le marquis de Sade a développé le plan de cette seconde partie au fo1 du manuscrit sur lequel on lit : « Suite du porte-feuille.
« Brouillon,
« à faire,
« Pholoé et Zénocrate qui [c'est Pholoé] annonce son dessein de travailler à la comédie.
« Zénocrate et Pholoé combattent le projet en envoyant néanmoins les conseils dramatiques.
« Pholoé à Zénocrate. Elles [les deux soeurs] ont fait une comédie qui lui sera montrée au retour ; maintenant elles s'ennuyent et lui demandent quelque chose d'amusant.
« Zénocrate à Pholoé. Il envoie (prises dans les cahiers) les anecdotes et étymologies ; celle de Miranias termine les anecdotes — des mots — et des historiettes.
« Pholoé à Zénocrate. Elle part et se rend à Paris pour le couronner 1. »
Le marquis de Sade s'est toujours beaucoup préoccupé des questions théâtrales. Nous avons de lui une lettre datée de 1772 adressée à M. Girard, père de Philippe de Girard et qui fut, au moment du sacre de l'Empereur, le président de l'assemblée cantonale de Cadenet (Vaucluse).
La lettre du marquis de Sade montre qu'il fit représenter une comédie le lundi 20 janvier 1772. Voici la lettre telle qu'elle a paru dans la Petite Gazelle Aplésienne au 11 décembre 1911 :
« La dernière fois que l'on jouai (sic) la comédie chez moi, monsieur, j'avais chargé plusieurs messieurs de la Coste et de Loumarin de vous témoigner tout le plaisir que vous me feriez d'y venir ; je n'ai pas encore été assez heureux pour vous posséder chez moi ainsi que je le désire avec ardeur ; pourrais-je me flatter si l'occasion d'une comédie que j'ai faite et qui doit se représenter le lundi 20 du courant et pour laquelle je souhaite beaucoup votre jugement, pouvait enfin me procurer le plaisir que je désire depuis si longtemps de faire connaissance avec vous ; des spectateurs et des juges aussi éclairés que vous, monsieur, sont prélieux (sic), et je ne vous cache pas que vous me feriez vraiment peine de vous refuser à l'empressement que j'ai de vous posséder ce jour-là. Sans le mauvais temps, j'aurais été vous en prier chez vous ; j'espère que la saison, bientôt moins rigoureuse, me mettra à mesure de vous cultiver davantage et de réparer le tort que j'ai eu de ne pas jouir plus tôt d'une aussi agréable société.
« Je suis très parfaitement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. » Sade
« Ce 15 janvier 1772.
Il consacra au théâtre un volume du Portefeuille d'un homme de lettres ; il a écrit un grand nombre de pièces qui, pour la plupart, sont énumérées au catalogue de la Biographie Michaud et qui, par conséquent, doivent se trouver encore aux mains de la famille de Sade. Au f° 450 du manuscrit de la Bibliothèque nationale, le marquis de Sade énumère trois de ses pièces dont on ne connaissait même pas jusqu'ici les titres : L'Inconstant, comédie en 3 actes et en vers ; La Double Epreuve ou le Prévaricateur, comédie en 3 actes ; Le Mari Crédule ou la Folle Epreuve, comédie en un acte et en vers libres.
Aux ff. 452 verso et 453, il donne un aperçu de sa pièce La Ruse d'Amour que la Biographie Michaud mentionne sous le titre « L'Union des Arts, ambigu dans le genre de celui que d'Aiguebelle donna en 1726 et de celui qui est imprimé dans les œuvres de Morand. La pièce du marquis de Sade en comprend cinq, dont la première sert de prologue ou de liaison aux autres : Les Ruses d'Amour, comédie épisodique en un acte en prose ; Euphémie de Melun ou le Siège d'Alger, tragédie en un acte en vers ; L'Homme dangereux ou le Suborneur, comédie en un acte en vers de dix syllabes, reçue au Théâtre Favart en 1790 ou 1791 ; Azelis ou la Coquelle punie, comédie féerie en un acte en vers libres, reçue au théâtre de la rue de Bondi en 1790. Le tout se termine par un divertissement ». Il y a encore La Fille Malheureuse que la Biographie Michaud ne mentionne point. Voici, au demeurant, la notice du marquis de Sade sur son ouvrage La Ruse d'Amour 2 :
« Un jeune comte, épris de la fille d'un homme qui demeure dans une terre près de Paris, et sachant qu'on est à la veille d'accueillir Mondon, vieux rival fort riche, imagine de troubler ce projet ... Il arrive dans son château [le château du père] avec une troupe de comédiens très considérable. Il lui offre de donner des fêtes, bien résolu de profiter de la liberté que lui laisserait le spectacle peur enlever sa maîtresse ou se défaire de son rival ; le père accepte et [un mot illisible] de se mêler lui et sa société à la troupe du jeune comte déguisé en comédien pour exécuter de concert la fête projetée ... Le jeune comte, qui veut se distinguer dans tous les genres, espérant que plus il variera, plus il trouvera d'occasions de réussir ..., offre de donner et donne une tragédie en un acte intitulée Euphémie de Melun ou le Siège d'Alger, en alexandrins.
1 Les citations concernant le Portefeuille d'un homme de lettres étaient inédites.
2 Note inédite.